23 mai 2019
« Quand le projet est de choisir une cause sociale. Quand la consigne est de le présenter comme un discours. Quand tu as des jeunes multi-ethniques-culturels-religieux avec chacun leur vécu. Quand tu as des élèves allumés, sensibles et conscients du monde qui les entoure. Ça fait des présentations orales où l’émotion l’emporte au point que les locutrices ont peine à parler à travers leurs larmes, où les élèves sont profondément touchés (pis peut-être une interprète qui a chaud aux yeux aussi. ) [sic] »
Anabelle Rousse est interprète depuis plus de dix-huit ans. Aujourd’hui à l’école secondaire Jacques-Rousseau, à Longueuil, auprès d’une élève de 3e secondaire qu’elle suit depuis le primaire, et antérieurement à la Pointe-de-l ’Île, elle a toujours travaillé en milieu à forte concentration multiculturelle.
Interpellés (et émus !) par ces lignes publiées sur les réseaux sociaux à l’automne dernier, nous l’avons rencontrée pour discuter de ce contact privilégié avec les jeunes. Un aspect du travail des interprètes dont on parle peu.
Les élèves devaient faire une présentation orale, livrée sous la forme d’un discours, en lien avec un sujet et un contexte social qui les touchent, explique Anabelle Rousse. Environnement, harcèlement, trafic humain, zones de guerre… « Il faut interpréter ces présentations, mais impossible de toujours demeurer complètement neutre parce qu’on est humain, et ça vient nous chercher, c’est évident.
Ce contact étroit avec des adolescents est vraiment spécial, privilégié et enrichissant », ajoute-elle en entrevue. « Ce qu’il y a de particulier avec le travail d’interprète, c’est d’assister à ces moments spéciaux en classe, comme je l’ai souligné dans la publication, mais c’est aussi d’avoir le privilège de côtoyer vraiment [les jeunes] au quotidien dans les interactions qu’ils ont ensemble, lors de la préparation des travaux d’équipe, dans leurs discussions. »
« Je suis une adulte dans la classe, mais ils oublient parfois que je suis là et disent des niaiseries. Ils sont habitués à ma présence, me connaissent, depuis deux ans ici, pour certains depuis le primaire. Ils saisissent rapidement cette neutralité qu’impose le travail d’interprète. Ils comprennent assez vite, disons, que je ne fais pas de gestion de classe ! »
Anabelle explique que certains élèves se rapprochent davantage, sont plus curieux de son travail, ou encore apprécient simplement le fait d’avoir un adulte proche en qui ils ont confiance. « Quand on y pense, je les vois plus souvent que leurs parents. Il faut évidemment placer les choses avec eux, garder les limites claires, mais c’est indéniable que nous avons accès à une zone de laquelle la plupart des adultes sont exclus. »
À ceci s’ajoute la particularité de travailler dans un milieu très multiculturel. Le regard direct de ces jeunes sur les débats de société qui nous animent est un élément important pour Anabelle. « Certains ont des bagages très lourds, d’autres très riches. Pour moi, ça amène une plus grande compréhension, beaucoup d’empathie, c’est très riche dans mon travail. Je suis convaincue d’une chose : ces jeunes vont faire changer les mentalités, tant celles d’ici, dans les communautés qui les accueillent, que celles de leurs parents, de leurs futurs employeurs aussi. Et c’est pour le mieux.
Ils vivent ensemble souvent depuis des années. La couleur de leur peau, ce qu’un mange ou ne mange pas, ce n’est pas ce qui les dérange ! Ils vont s’écœurer comme d’autres ados pour un chandail laid ou pour des chicanes d’ados qui n’ont rien à voir avec la religion. Cette génération nous apportera quelque chose au niveau de l’ouverture et de l’empathie. Je leur fais vraiment confiance. »
Maude Messier