Nous n’avons pas tous les mêmes chances

30 janvier 2019

Vingt-deux vagues de sui­cides ont touché le Nunavik depuis 2001. En 2016, la mort volontaire de cinq résidants de Kuujjuaq (2 750 habitants) en cinq mois avait fait la manchette. L’an dernier, en dix mois à peine, onze suicides sont survenus à Puvirnituq, un vil­lage de 1 779 habitants en bordure de la baie d’Hudson. Toutes proportions gardées, c’est comme si 11 000 Mon­tréalais mettaient fin à leurs jours au cours de la même période.

« Travailler et vivre dans le Grand Nord québécois, c’est déstabilisant. Il faut y être préparé, être fort mentale­ment, surtout pour ceux qui viennent de l’extérieur. Il y a le dépaysement, l’isolement. Il faut être créatif, auto­nome; il manque de tout. Il y a peu de services, peu de ressources et le coût de la vie est très élevé », explique Larry Imbeault, président de l’Association des employés du Nord québécois (AENQ-CSQ) en entrevue avec Le Champlain.

L’AENQ regroupe notamment le per­sonnel enseignant ainsi que le person­nel de soutien scolaire des commissions scolaires Crie et Kativik, le personnel enseignant de deux écoles de la com­munauté atikamekw et des travailleuses et travailleurs de deux CPE d’Eeyou Istchee.

Le manque criant de services (que ce soit en santé, en santé mentale, en services et en support aux élèves dans les établissements scolaires entre autres) conjugué aux nombreux pro­blèmes sociaux et économiques, ont des conséquences désastreuses sur les jeunes autochtones. C’est l’essentiel du poignant témoignage que livrait Larry Imbeault au Conseil général de la CSQ l’automne dernier, peu de temps après les événements survenus à Puvirnituq.

« Pour les élèves HDAA à Kativik, on est vraiment aux balbutiements de la mise en place d’un programme con­cret qui se tient », explique-t-il, soulignant toutefois que le manque de res­sources, l’attraction et la rétention du personnel sont des obstacles majeurs. Enseignants, techniciens en éducation spécialisée, techniciens en adaptation scolaire, préposés aux élèves handicapés, etc. y sont rarissimes.

« Le problème est vraiment global et com­plexe. Même si, dans un monde idéal, tous les élèves qui devraient être cotés l’étaient et qu’ils avaient un plan d’intervention, il manque de personnel qualifié partout. Et pour faire venir de la main-d’œuvre, il faut mettre en place des incitatifs. Il faut les loger, ça aussi c’est un autre problème. Il faut des services de santé. Bref, c’est un problème global et struc­turel. »

Le régime pédagogique québécois s’applique dans le Nord, mais pas la LIP. C’est la Loi sur l’instruction publique pour les autochtones cris, inuit et nas­kapis (LIPACIN) qui y est en vigueur. On parle d’un encadrement légal dépassé qui nuit à l’amélioration des conditions pour les élèves et le personnel, ce qu’a d’ailleurs fait valoir le Protecteur du citoyen dans son rapport d’enquête portant sur les services éducatifs à la Commission scolaire Kativik, déposé en octobre dernier.

En toute connaissance et com­préhension des enjeux du personnel de l’éducation à travers le Québec, la réalité et la comparaison avec ce que ses membres vivent peuvent être par­fois confrontantes pour Larry Imbeault. Financement déficient des services éducatifs, services insuffisants, condi­tions d’apprentissage qui ne sont pas au rendez-vous et conditions de loge­ment inadéquates : il existe bel et bien une iniquité entre le Nord et le reste du Québec en matière d’éducation. Visiblement, nous n’avons pas toutes et tous droit aux mêmes chances.

Environ 60 % du personnel enseignant vient de l’extérieur de la région. Les gens restent en moyenne un an et demi. Par contre, pour le personnel de soutien, c’est plutôt 95 % qui viennent du milieu, soutient Larry Imbeault.

« Le taux de roulement est très élevé, ce qui complique aussi les choses dans les relations. Les conditions de travail et de vie sont très difficiles, les gens sont isolés. Au quotidien, s’il est vrai que les ratios dans les classes sont plus bas, il faut comprendre qu’il n’y a pas de pondération et peu de ressources, sinon aucune.

« Lors de la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en 1975, les Cris et les Inuit fondaient beaucoup d’espoir dans l’amélioration des services éducatifs puisque la CBJNQ prévoyaient la création des commissions scolaires Crie et Kativik. Je crois bien que beaucoup sont maintenant déçus. On aurait pu s’attendre à ce que la situation soit nettement meilleure qu’elle ne l’est. »

Bien que l’actuel gouvernement du Québec soit au fait des grandes difficultés vécues dans les milieux scolaires autochtones, elles ne constituent pas une priorité pour le moment dans son agenda. À ce sujet, il a déjà fait savoir qu’il qui n’entend pas revoir la loi sous peu.

« Dans le Nord, c’est simple, la tasse est tout le temps vide. Mais le pire, c’est que la gravité de la situation n’est pas connue. On dit souvent que ça prend une sonnette d’alarme pour dénoncer une situation. Je me demande ce qu’il faudra de plus comme cri du cœur que ces jeunes qui se sont enlevé la vie… »

Le saviez-vous ?

·         Près de 80 % des élèves du Grand Nord quittent le système scolaire sans diplôme ni certi­fication, soit quatre fois plus qu’ailleurs au Québec;

·         Très peu de services sont of­ferts aux élèves en difficulté ou handicapés;

·         Plus de la moitié des Inuits ne détiennent aucun certificat, diplôme ou grade, comparative­ment à 13 % ailleurs au Québec.

 

Maude Messier