3 octobre 2018
« Au Québec, tout le monde connaît ça, l’éducation. Tout le monde s’en mêle. C’est assez fascinant. Et pourtant, en comparaison, personne ne remet en question le jugement professionnel des médecins. Je pense que si on allait dans les classes pour voir et comprendre comment ça se passe, on serait bien plus modeste. Plus de politiciens devraient peut-être s’y mettre… »
Journaliste chevronnée et collaboratrice pour différents médias et émissions d’actualité, Josée Boileau a suivi la campagne électorale de près. Le Champlain l’a rencontrée pour revenir sur cette campagne qui, nous avait-on dit, placerait l’éducation au centre des priorités électorales.
Pourtant, au-delà des grandes lignes médiatiques (maternelles quatre ans, investissements dans les infrastructures et modification des échelons pour hausser le salaire d’entrée dans la profession enseignante), on a peu parlé des problèmes de fond en éducation, de sorte que les préoccupations du personnel sont restées sans écho.
« C’est vrai. Une campagne électorale, c’est une course. Il y a des votes à aller chercher et l’électeur moyen se perd dans les grandes explications données pour un secteur précis. En éducation, c’est un peu comme pour l’environnement, on s’en tient à quelques clichés. Ça n’a rien à voir avec le traitement qui est réservé à l’économie et à la santé. »
Josée Boileau note qu’il y a peut-être un trait sociologique à analyser dans notre « obsession » collective pour la santé. « C’est quand même curieux parce que l’éducation, c’est l’avenir, l’espoir. »
« Pensons-y froidement, ajoute-elle. Qu’est-ce que ça dit d’une société d’avoir autant d’enfants stationnés dans des roulottes ?! L’image est assez forte pour illustrer, clairement, à quel point on ne prend pas l’éducation au sérieux au Québec. Est-ce vraiment ce qu’on a de mieux à offrir ? Et pourtant, on construit de beaux et grands hôpitaux… »
« Les grandes lignes sur la réussite éducative et sur l’égalité des chances sont partagées par tout le monde », poursuit-elle, en faisant référence aux quatre entretiens électoraux que le Syndicat de Champlain a réalisés avec les porte-paroles en éducation des principaux partis politiques. De son avis, à peu de choses près, leurs discours se ressemblent beaucoup. L’enjeu est plutôt dans l’opérationnalisation et dans les mesures qui seront mises de l’avant.
« Il y a un décalage entre le discours et les mesures qu’on prend pour le réaliser. Quand on arrive sur le terrain, ça retrousse tout le temps. C’est vrai dans d’autres secteurs, mais c’est particulièrement frappant en éducation », explique celle qui observe attentivement le réseau depuis de nombreuses années.
« Les professeurs et les gens qui travaillent dans les écoles, et les élèves aussi d’ailleurs, ont des choses à dire. Mais on ne les écoute pas; il est là le problème. On rêve à de grandes solutions, mais au fond, il faudrait revenir à la base et écouter les gens qui font l’éducation. »
En pleine pénurie de main-d’œuvre, alors que les écoles débordent et qu’il y aura une explosion démographique de la clientèle au cours des prochaines années, avec quelque 65 000 élèves de plus, Josée Boileau insiste sur le fait que la valorisation du travail du personnel de l’éducation doit être considérée comme un élément clé.
« On ne réalise pas à quel point la précarité est répandue dans le réseau. Dans le contexte actuel, il me semble qu’il y a là une incongruité évidente. Parce qu’au fond, tout est lié. Tous les milieux de travail sérieux s’arrangent pour fournir un environnement de travail agréable, des conditions de travail adéquates et donner aux employés le sentiment de faire partie d’une équipe, ça m’apparaît vraiment être la base. Mais on n’en est pas là en éducation. »
Valorisation de la profession enseignante et du personnel de l’éducation, fierté de nos écoles, respect de l’autonomie professionnelle. « Ça prend un changement de culture. Mais c’est un gros sujet pour une campagne électorale… »
Le tabou de l’école privée
Josée Boileau soulève aussi la question de l’école privée. « C’est, sans surprise, un autre élément dont on n’a pas parlé pendant la campagne électorale. Parce qu’à partir du moment où la classe moyenne et l’élite envoient leurs enfants à l’école privée, après l’avoir eux-mêmes fréquentée, comment peuvent-ils être sensibles aux problèmes de l’école publique secondaire ? »
Pour reprendre le parallèle avec le réseau de la santé, même si on craint un système à deux vitesses, il n’en demeure pas moins, qu’encore à ce jour, un ministre qui tombe malade devra fréquenter un établissement public. Minimalement, il ne peut pas ignorer complètement les problèmes.
« Un système d’éducation à deux vitesses, ça se traduit par moins d’émulation, moins de mixité sociale et intellectuelle, la lourdeur des problèmes et des cas ainsi que la charge que cela représente pour les enseignants et le personnel. C’est un vrai problème dont on ne parle pas parce que nombre d’élus et de journalistes envoient leurs enfants au privé. C’est, malheureusement, devenu un réflexe auquel on ne réfléchit plus… Et qui, pourtant, a une incidence importante sur le travail de celles et ceux qui travaillent dans l’école publique. Je ne vois pas comment on peut véritablement s’attaquer aux problèmes en éducation sans parler de l’éléphant au centre de la pièce.
« C’est un tabou et, chaque fois qu’on en parle, on nous ramène l’argument du financement et du fait que ça coûterait plus cher. Mais la vérité, c’est que ça n’a rien à voir parce que les finances de l’État, ce sont des choix politiques ! »
Construire autrement
En entrevue, Josée Boileau a fait un clin d’œil à l’essai que le journaliste et diplômé en architecture Marc-André Carignan vient de faire paraître, Les écoles qu’il nous faut.
« Travailler dans un lieu agréable, ça change beaucoup de choses, et pour le personnel et pour les élèves. Compte tenu de l’explosion démographique et du chantier qui s’ouvre, parce qu’on sait qu’une centaine d’écoles devont être bâties dans les prochaines années, peut-on s’arrêter et penser aux écoles que nous voulons ? », nous dit-elle.
Or, il est vrai que les annonces d’investissements en infrastructures servent, depuis quelques temps, essentiellement à colmater les dommages causés par des années de sous-financement. Malheureusement, la récupération politique de ces sommes investies et le spectacle entourant les projets de construction (on pense ici au Lab-École, bien entendu) ont créé un réflexe de réaction cynique dans le milieu, particulièrement chez le personnel. Et pour cause ! Mais c’est ailleurs que cherche à nous amener Josée Boileau.
« Plutôt que de rêver d’en haut, peut-on revenir à la base ? Parler aux gens qui travaillent tous les jours dans l’école, aux élèves qui y vivent. Peut-on leur demander, d’abord et avant tout, ce qu’ils veulent, ce dont ils ont besoin. Peut-on sérieusement réfléchir aux obstacles et aux problèmes à l’intérieur même du ministère, aux normes de construction notamment, qui bloquent bon nombre d’innovations et de projets ?
« Dans la réflexion autour de la conception de nos nouvelles écoles, je vois une belle opportunité de faire les choses autrement, le point de départ d’un changement de culture en éducation, qui placerait le personnel au cœur de la réflexion. Quand on parle de la valorisation, il y a, oui, les salaires, la précarité, la rétention de personnel, le roulement de main-d’œuvre, etc. Certes, des correctifs doivent être faits pour redresser la situation, mais en parallèle, je pense vraiment qu’il faut développer une fierté et une envie des écoles. Je reviens donc à l’idée de la construction d’une école et le fait d’y arrimer toute une philosophie qui ferait en sorte qu’on partirait de la consultation du milieu, des gens qui y travaillent. »
Elle soutient qu’il faut privilégier la relation avec l’enseignant, parce que les études confirment que c’est ce qui se trouve au cœur de la réussite éducative. Il faut donc assurer au personnel des conditions de travail pertinentes et leur adjoindre le soutien et les services adéquats, le tout dans un cadre actuel et agréable. « Revenir au travailleur dans l’école, il me semble que tout se tient. Et on pourrait aller plus loin. À ce que je sache, les enseignants sont des professionnels, non ? Alors pourquoi ne les laisse-t-on pas déterminer eux-mêmes ce dont ils ont besoin (outil pédagogique, matériel, etc.), plutôt que d’imposer des tableaux intelligents, par exemple ? Leurs choix sont constamment limités par différentes considérations budgétaires.
« Et plus loin encore, en ce moment, quand on parle de réussite éducative, on parle beaucoup de chiffres, de statistiques, de taux de diplomation, de cibles, etc. Et quand ça ne fonctionne pas, on modifie les notes pour y arriver et atteindre les cibles du ministère ! C’est de la foutaise ! Il est grand temps de revenir à la base : faire en sorte que les gens aient envie d’apprendre. Et le professionnel, c’est l’enseignant. »