19 septembre 2018
« […] le personnel de l’éducation est bien informé des problèmes qui affectent leurs conditions de travail. Leur tâche s’alourdit et plus du quart d’entre eux montrent des signes d’épuisement émotionnel. La qualité des services offerts en souffre, mais leur volonté à y remédier est indéniable. Ils et elles connaissent des solutions pour améliorer la situation. »
Telle est la conclusion de l’étude Conditions de travail et compressions budgétaires. Portrait de la situation dans les écoles du Québec, menée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) au printemps 2018 auprès d’enseignants, de membres du personnel de soutien et de professionnels partout au Québec.
Éloquents, les résultats confirment, d’une part, le sous-financement bien réel du réseau public d’éducation, chiffré à 1,4 G$ depuis 2003. « Ce n’est pas du tout une contradiction de l’économie ou l’évolution de notre richesse collective qui vient justifier le sous-financement, mais réellement des orientations et des choix politiques que le gouvernement libéral doit assumer. Et qui font très mal, soit-dit en passant », souligne Philippe Hurteau, un des deux auteurs du rapport, en entrevue avec Le Champlain.
D’autre part, ces résultats documentent les impacts négatifs des compressions successives sur les conditions de travail du personnel qui a vu sa tâche s’alourdir au cours des dernières années.
Hausse de 34 % du nombre d’élèves présentant un handicap ou des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) ainsi que hausse du nombre de cas non reconnus (sans diagnostic) dans un contexte de diminution des services offerts aux élèves, augmentation du temps supplémentaire qui en grande partie n’est ni reconnu ni rémunéré, manque de ressources humaines et matérielles, précarité d’emploi, climats de travail inadéquats, épuisement émotionnel, tout y passe !
« [Les membres du personnel] se retrouvent dans une situation où ils doivent en donner plus à l’employeur pour contourner les effets de l’austérité, mais sans avoir la reconnaissance ni la satisfaction professionnelle. Et le plus souvent, sans être payés, parce que ces heures supplémentaires ne sont pas reconnues pour une large part », résume Philippe Hurteau, qui ajoute qu’il s’agit là d’un facteur d’érosion de la loyauté du personnel de l’éducation envers leur employeur, bien qu’ils demeurent profondément loyaux envers les élèves et la classe, en tant qu’institution.
« On est à une période charnière, interprète-t-il. Les gens sont attachés à leur travail, à sa mission éducative, peu importe le corps de métier. Mais on sent bien, dans les résultats, que cet attachement pourrait finir par lâcher. C’est encore suffisant pour motiver les gens au travail à prendre du temps sur leur temps personnel, parce qu’ils ont à cœur que ça se passe bien dans la classe, que les jeunes se développent, etc. Mais ça ne pourra pas durer toujours. »
« C’est le soutien entre collègues qui permet de passer au travers, selon les répondants. Mais les résultats démontrent que ce même soutien est en diminution et que des tensions émergent, de plus en plus, entre les collègues en raison de ce climat de crise quasi permanente. »
Les résultats de cette étude corroborent ceux de l’enquête menée par la firme Léger, auprès des membres du Syndicat de Champlain, sur la violence et les climats de travail dans les écoles et les centres, dévoilés avec le lancement de la campagne « Pu capable ». Comme le soulignent les chercheurs de l’IRIS, les solutions sont pourtant connues : augmenter les ressources et les services aux élèves en difficulté, diminuer le nombre d’élèves par classe et améliorer les conditions de travail du personnel de l’éducation.
« Plutôt que d’inviter des experts externes au domaine de l’éducation, il serait peut-être temps qu’on écoute ceux et celles qui œuvrent au quotidien dans les écoles et le réseau scolaire et qu’on priorise de leur assurer des conditions de travail décentes. Tout le monde y gagnerait ! »
Complément audio
Les résultats de l’étude de l’IRIS ont piqué votre curiosité ? Austérité, PIB, principaux constats de l’étude, le poids des élèves HDAA non reconnus, pistes de solutions : le chercheur Philippe Hurteau, auteur du rapport, répond à nos questions dans une entrevue audio disponible ici :