5 juin 2018
Violence, conflits, composition de classes impossibles, intégration massive d’élèves en difficulté, charges de travail débordantes, enseignants à bout de souffle, remplacements successifs dans une même classe, alouette ! Ces problèmes qui grugent le personnel de l’éducation, vous les connaissez, vous les subissez, vous en discutez entre collègues et, parfois, dans différents groupes sur les réseaux sociaux.
C’est d’ailleurs ainsi qu’est né Profs en mouvement, un groupe qui se définit comme indépendant et qui est dédié à valoriser la profession enseignante et à améliorer les conditions d’enseignement. Formé en février dernier, le groupe réunit maintenant sur Facebook 7 900 membres.
« Nous étions plusieurs à constater que des situations problématiques liées aux réalités vécues dans nos classes étaient récurrentes. Il y a beaucoup de dénonciations sur ces groupes de discussions. Ok, mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ? », explique Jessica Dorval, jeune enseignante précaire et co-porte-parole du groupe, en entrevue avec Le Champlain.
Elle attribue l’idée de former un groupe à une collègue enseignante en formation professionnelle, qui mentionnait l’existence d’un tel regroupement pour les infirmières. « Beaucoup se prononçaient en faveur avec l’idée. Alors je me suis dit que, puisqu’il y avait de l’intérêt, j’allais le mettre en place », explique-t-elle.
Or, ce qui semblait initialement n’être qu’un petit geste s’est rapidement transformé en une véritable implication. « L’intérêt était clairement là. Le groupe a grandi très rapidement dès les premiers jours de sa création », indique-t-elle, avouant s’être lancée dans ce projet sans y penser vraiment. Rapidement, une collègue s’est jointe à elle pour animer et administrer le groupe sur Facebook.
« L’objectif de départ était de canaliser, à l’intérieur d’un groupe qui serait prêt à prendre des actions, les besoins des profs liés au vécu dans les milieux, dans les classes », précise Mme Dorval. « Au début, les membres ont suggéré beaucoup d’idées pour qu’on se fasse entendre et que ça change. Le plan, c’était de prendre les plus populaires et de les mettre en route. Et ça, c’est tout un contrat ! Je ne sais pas comment faire ça. J’ai étudié pour être enseignante, pas pour gérer un groupe de 7 900 personnes ! », lance-t-elle à la blague.
« Ensuite, après avoir mis une bannière sur nos photos de profil, il fallait passer à autre chose ! », poursuit-elle. « Se réunir sur Facebook c’est une chose, organiser des actions à l’extérieur, c’en est une autre. »
L’idée de produire un manifeste s’est alors concrétisée. Jessica Dorval soutient que c’est surtout sa collègue qui s’est chargée de la coordination du projet. « Mais de A à Z, le projet s’est développé de façon collaborative. Nous avons reçu beaucoup de témoignages. On a voulu dresser un portrait vivant de ce qui se passe, en 2018, dans les classes du Québec », précise-t-elle, rappelant que les membres du mouvement Profs en mouvement proviennent de partout au Québec.
Le manifeste, intitulé Nous voulions changer le monde, sauf que…, rassemble donc quatre-vingt-seize témoignages d’enseignantes et d’enseignants qui s’expriment sur des situations qu’ils ont vécues de violence, d’intimidation, de complexité de la charge de travail dans des classes régulières qui n’ont plus rien de « régulier » justement, sur le manque de ressources et de services, sur leur situation précaire, etc.
La deuxième partie du document comporte des pistes de solutions. « Après avoir exposé publiquement les facettes moins connues, justement, de notre quotidien comme enseignants et avoir démontré à quel point les besoins sont importants et à quel point ces constats font consensus dans notre groupe, on voulait aussi amener quelque chose de positif. Maintenant, qu’est-ce qu’on peut faire ? Les solutions viennent aussi de la consultation avec les membres via des sondages notamment, dans le groupe. »
Profs en mouvement recommande donc de diminuer le nombre d’élèves dans les classes et d’offrir plus de services aux élèves HDAA, de donner aux profs de meilleures conditions de travail, de reconnaître l’expertise des enseignants (et de les consulter) et de diminuer la précarité.
Le manifeste a été déposé au printemps dernier à l’Assemblée nationale. Mme Dorval explique que des représentants du Parti Québécois et de Québec Solidaire étaient présents au moment du dépôt et que la CAQ a fait un suivi auprès d’eux, mais qu’ils n’ont jamais eu d’écho du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx.
À la période de questions suivant le dépôt, le ministre Proulx a été questionné sur les effets des coupures en éducation, sur la base des témoignages du manifeste. Jessica Dorval affirme que le ministre a donné des réponses nébuleuses, refusant de reconnaître tout le tort qu’ont causé les coupures en éducation. « On ne comprend pas trop ! Pour nous qui sommes dans les classes tous les jours, c’est clair qu’il y a eu des coupures : On en vit les conséquences tous les jours ! On a d’ailleurs détaillé tout ça dans un tableau dans notre manifeste. »
Pourquoi avoir choisi de former un groupe et de s’impliquer à l’extérieur de structures militantes existantes, comme les syndicats ? « Quand j’ai créé le groupe, en toute honnêteté, je n’ai pas vraiment pensé à ça ! Mais en y pensant maintenant, je peux dire que c’est bien d’avoir ce lieu où on peut se rassembler au-delà des allégeances syndicales. On rallie aussi d’autres groupes, pas seulement des profs. Et les membres viennent de partout au Québec, ça aussi c’est une belle force. »
L’indépendance du groupe lui permet aussi de s’allier ponctuellement à d’autres organisations, ajoute-t-elle. Ce fut le cas notamment avec la CSQ et la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) lors du lancement du mouvement Agissons pour les profs du Québec!, et avec la FSE également lors d’une sortie publique commune sur le nouveau programme d’éducation à la sexualité pour dire que « sans les conditions, c’est non ! ».
Mme Dorval confirme que Profs en mouvement est approché par d’autres groupes de la société civile et d’autres projets sans qu’il n’y ait rien de concret pour le moment. « On est prêt à s’associer avec d’autres groupes pour faire des démarches pour améliorer les choses en éducation. On voit ça comme un grand travail d’équipe. Plus nous serons nombreux à demander des choses, mieux ce sera ! »
Et quelle sera la suite des choses ? Le groupe réfléchit actuellement à tenir une autre action publique d’ici la fin des classes ou encore à la rentrée. « L’important, c’est de ne pas laisser tomber ! On va continuer de faire des actions de visibilité pour garder le sujet chaud. Tant qu’il n’y aura pas de changements, on va mettre des choses de l’avant. »
Avec la campagne électorale qui s’en vient cette année et les négociations nationales pour le renouvellement des conventions collectives prévues l’année suivante, l’éducation sera assurément un sujet chaud pour un bon moment. « Mais l’éducation doit demeurer une priorité du Québec en tout temps, à long terme, même en dehors de ces périodes de pointe. »