24 mai 2018
« Je trouve ça honnête et intègre que les enseignants disent : « Un instant ! » On ne peut pas s’improviser comme spécialiste, sinon on apprendrait quoi pendant cinq ans à l’université ! », lance d’amblée la réputée sexologue Jocelyne Robert, en entrevue avec Le Champlain, pour discuter de l’implantation de l’éducation à la sexualité.
« Demander de l’aide, réclamer des conditions gagnantes et qu’on réfléchisse à comment on l’implante dans les écoles, c’est faire preuve d’un grand respect, de soi-même d’abord, et envers les enfants. »
Le retour précipité du programme obligatoire de l’éducation à la sexualité à l’école dès septembre prochain suscite beaucoup de questions dans les milieux. Des questions qui, à l’heure actuelle, n’ont pas de réponses claires.
Loin de remettre en question la nécessité du retour de l’éducation sexuelle à l’école, on peut tout de même questionner la façon de s’y prendre du gouvernement. Le personnel le dit haut et fort : les milieux ne sont pas prêts. Cette nouvelle responsabilité de l’équipe-école est mal définie et la charge de dispenser du contenu hautement délicat place le personnel en situation de vulnérabilité professionnelle.
D’ailleurs, le Syndicat vous invite à ne pas vous porter volontaire si les conditions optimales ne sont pas réunies, comme par exemple, être épaulé par du personnel professionnel, avoir une formation adéquate et le temps d’appropriation nécessaire, avoir du matériel clé en main pour les premières années, avoir un professionnel disponible pour les sujets plus sensibles ou encore lorsque des situations délicates surviendront, etc.
Très présente dans l’espace public, Jocelyne Robert a publié de nombreux ouvrages sur l’éducation à la sexualité des enfants. Tout récemment, elle a exprimé ses réserves quant à l’implantation prochaine du nouveau programme et elle a appuyé les enseignants dans leurs revendications.
« Je comprends qu’il y a des impondérables et des questions financières, mais pourquoi n’y aurait-il pas un certain nombre d’éducateurs sexologues pour aider et appuyer les profs, s’occuper des cas particuliers, donner de la formation continue, etc. ? Je ne pense pas que l’éducatrice sexologue doive nécessairement dispenser l’enseignement, mais je pense certainement qu’elle doit être là. Il y a trop de malaises. »
En parlant du personnel enseignant, Mme Robert insiste : « Je leur lève mon chapeau, ils sont dévoués, débordés, on leur en demande, ça n’a aucun bon sens ! Et là, on leur lance l’éducation à la sexualité, comme si de rien n’était.
« C’est tellement farfelu ! Est-ce que, parce que j’ai une formation en sexologie, que je suis reconnue, que je connais le corps de la femme, les organes génitaux, la mécanique physiologique, la génitalité féminine, etc., je peux m’improviser gynécologue ? Non ! Alors, c’est pareil pour les enseignants et l’éducation à la sexualité. On peut faire beaucoup de dégâts en n’étant pas formé et en étant mal à l’aise. »
N’est-il pas normal pour le personnel d’être mal à l’aise avec ces enseignements ?
« Oui, c’est évident ! Et ils ont raison. Ça reste une dimension extrêmement intime, qui chatouille, qui dérange. La sexualité, c’est une question très large, physiologique, oui, mais aussi culturelle, sociale, anthropologique, médicale… Probablement le champ d’études le plus multidisciplinaire. »
À son avis, le danger est de rester cantonné aux aspects de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), de la grossesse, etc. C’est d’ailleurs ce qui se passait, selon elle, avec l’ancien programme, retiré en 2006-2007. « Éduquer à la sexualité, ce n’est pas que faire de la prévention. Pourquoi le faisait-on ainsi et le refera-t-on encore ainsi ? Parce que c’est beaucoup plus facile de parler aux jeunes d’éléments factuels – contraception, etc. – que de ce qui est lié aux affects. »
Et pourtant, forcément, des questions liées aux affects vont surgir en classe, insiste la sexologue, témoignant de sa longue expérience professionnelle. « Il faut être capable de répondre avec des informations concrètes, scientifiques, et ce, sans jugement, à l’intérieur des valeurs humanistes que sont notamment le respect, la liberté, le consentement, la réciprocité, la dignité… Et quand les informations sont transmises, il faut aussi accompagner l’enfant dans son cheminement. Ça, c’est de l’éducation à la sexualité. C’est toute une job ! »
Et ce n’est pourtant pas ce qui se prépare pour septembre prochain selon Jocelyne Robert. « Ce qu’on s’apprête à faire ressemble beaucoup à l’histoire des compétences transversales au début des années 2000… et qui n’a pas fonctionné ! En fait, je questionne beaucoup la cohérence et la congruence des décideurs politiques. »
Pour la sexologue, l’urgence d’agir et de réintégrer l’éducation à la sexualité sur les bancs d’école ne fait aucun doute.
« Le développement psychosexuel et physiologique n’a pas tellement changé, mais ce qui a changé, par contre, c’est la place qu’occupe la sexualité sur la place publique. L’omniprésence du sexe partout fait que les jeunes sautent des étapes. L’hypersexualisation du corps des filles, les petits garçons portés très tôt à être des dominateurs sexuels : comme société, nous regardons passer le train. Impossible d’ignorer le contexte social dans lequel on vit, post #MeToo notamment, et l’opinion publique qui se dresse à chaque nouvel événement, dénonciation ou agression qui bondit dans l’actualité.
« Au début de ma carrière, on partait à peu près du néant. Il n’y avait que peu d’information. Alors que maintenant, on part d’informations toutes croches, de fausses connaissances d’adolescents qui pensent qu’ils savent tout parce qu’ils ont accès à beaucoup de matériel pornographique depuis qu’ils sont jeunes. Ils ont des besoins tellement criants, immenses. C’est vraiment impératif de faire quelque chose. »
Elle affirme pourtant s’être réjouie lorsque le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a annoncé le retour de l’éducation à la sexualité. « Mais j’ai aussi dit à ce moment, et je le pense toujours, que je n’y croyais pas. Je ne crois pas à la volonté politique réelle. Tout ceci est électoraliste. Il y a eu tellement de pétitions et de pression pour ramener l’éducation sexuelle à l’école. Ils sortent la boîte de bonbons, mais la décision manifeste de bâtir et de créer réellement un cours d’éducation à la sexualité, solide, scientifique, correct qui commence à cinq ans et se termine à la fin du secondaire, opérationnalisé le mieux possible, je ne la sens pas. Je sens qu’on va faire un petit quelque chose pour calmer le jeu. »
Le gouvernement aurait pu procéder autrement pour implanter le nouveau programme, revoir l’ensemble de la grille-matière par exemple et lui faire véritablement une place digne de l’importance qu’on souhaite lui accorder. Pour la sexologue, il importe aussi de s’assurer que cet enseignement soit transmis par des gens à l’aise, qui ont de l’aplomb et qui sont adéquatement formés. Il faut aussi un cours qui tienne compte du développement psychosexuel de l’enfant, qui le suit dans son cheminement, tout au long de son parcours scolaire.
« Moi, j’adore la langue française mais je ne me verrais pas aller donner un cours de français. Je n’ai pas les outils non plus pour faire ça, et je serais mal à l’aise. Bien entendu, il ne faut pas retarder indéfiniment, il y a urgence. Mais demandons que ça s’articule correctement, exigeons-le, soyons solidaires. C’est trop important! »
Maude Messier
En complément, vous pouvez aussi relire notre entrevue avec Jacinthe Barriault, sexologue et travailleuse sociale, parue en novembre dernier.
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