3 mai 2018
Rapport biaisé de l’Institut du Québec – un texte de Pierre Dubuc, initialement paru dans l’aut’journal.
En ce mercredi, 2 mai, tous les médias accordent une grande importance à un rapport sur l’éducation produit par l’Institut du Québec, un groupe de recherche, qui est une filiale du Conference Board du Canada et HEC Montréal. « Décrochage scolaire : le Québec dernier de classe », titre Le Devoir. « Faible taux de diplomation malgré le financement », proclame La Presse. « Diplomation : l’Ontario fait mieux que le Québec pour le même prix », carillonne Radio-Canada. À en croire les titres de La Presse et Radio-Canada, le sous-financement notoire de notre système d’éducation ne serait pas la cause des déficiences du système scolaire. C’est donc une étude qui vient « blanchir » le gouvernement libéral sous cet aspect, à la veille de la campagne électorale. Voilà qui tombe bien ! Et n’est pas étonnant quand on sait que l’Institut de recherche est dirigé par l’ancien ministre libéral Raymond Bachand.
Deux données devraient alimenter notre réflexion. Selon l’Institut, le taux de diplomation sur cinq ans au secondaire est de 64% au Québec chez les jeunes qui fréquentent une école publique. Mais ces résultats ne tiennent pas compte des résultats du réseau privé, qui frôlent les 90% de taux de diplomation en cinq ans. Or, au Québec, plus de 20% des élèves du secondaire fréquentent une école secondaire privée, comparativement à moins de 5% dans les autres provinces. Pourquoi? Parce que les écoles privées sont subventionnées à hauteur de 75% au Québec, alors qu’elles le sont peu ou pas dans les autres provinces.
Un tel phénomène aurait dû intéresser les chercheurs. Mais, il n’en est rien. Il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Alors, ayant éliminé la faiblesse du financement comme facteur explicatif, ils lancent à la volée toutes sortes d’hypothèses. « Le problème semble tenir davantage aux façons de faire actuelles et au choix des mesures et des programmes mis en place pour améliorer la diplomation ».
Puis, on évoque « la mise en place de la maternelle à 4 ans, l’obligation d’aller à l’école jusqu’à 18 ans, la création d’équipes spécialisées dans la lutte contre le décrochage scolaire dans chaque école, la flexibilité et la souplesse du système scolaire, l’importance de la formation continue des enseignants, de l’évaluation de la performance et la présence d’un ordre professionnel des enseignants et une prise de décision basée sur les pratiques probantes soutenues par la recherche ».
Toutes ces propositions vont être reprises, à la pièce ou dans leur ensemble, par le PLC, le PQ ou la CAQ, lors de la campagne électorale. Mais celle qui devrait être la principale promesse électorale ne le sera pas : la fin des subventions publiques aux écoles privées.
Pourtant, un organisme gouvernemental, le Conseil supérieur de l’éducation, avait bien identifié cette politique comme la cause principale des insuccès de notre système scolaire dans son Rapport de 2016. Mais on feint d’ignorer son existence. Pourquoi? Parce qu’il remet en question un système, les subventions publiques aux écoles privées, dont bénéficie l’élite québécoise. Rappelons les principaux constats de ce rapport.
Une sonnette d’alarme qu’on refuse d’entendre
Dans son Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) tirait la sonnette d’alarme. Avec la croissance du réseau des écoles privées, l’augmentation des projets particuliers et le nombre accru d’élèves HDAA dans les classes ordinaires, « notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».
Plusieurs de ces données nous sont connues. Le nombre d’élèves qui fréquentent une école privée a quadruplé depuis 1970 (21,5 % par rapport à 5,2 %). Cette proportion atteint 35 % en Estrie, 39 % à Montréal et 42 % à Québec.
Le nombre d’élèves des écoles publiques inscrits dans des programmes particuliers au secondaire atteint 17,2 %. En dix, ans, la proportion d’élèves du réseau public déclarés HDAA est passée de 13 % à 20,8 % et 70 % de ces élèves sont intégrés en classe ordinaire.
Les inégalités scolaires structurelles
Mais la nouveauté dans l’analyse produite par le CSE est l’effet de cette ségrégation sur la performance des écoles. Le CSE compare la relation entre le statut socioéconomique et culturel des écoles et leur performance avec celle des autres provinces, où le réseau privé est marginal à cause de l’absence de financement public.
Ainsi, sur la base des résultats des élèves aux tests PISA, la différence entre écoles de statut socioéconomique et culturel différents est de 105 points en mathématiques au Québec alors qu’elle est de 48 points en Colombie-Britannique. En lecture, la différence est de 112 points contre 39 et de 94 points en sciences contre 40.
Autrement dit, dans toutes les provinces du Canada, les élèves des écoles défavorisées ont obtenu une performance inférieure à ceux des écoles favorisées, mais cette différence est nettement plus élevée au Québec.
Selon le Conseil, ces données sont une conséquence de la multiplication des programmes sélectifs ou enrichis (qu’ils soient offerts dans une école publique ou privée).
Comme le souligne le CSE, « les inégalités de résultat ne sont pas seulement le fruit des inégalités dans la société (notamment sur le plan économique) ou entre les élèves (de plus ou moins grandes aptitudes), mais elles sont aussi partiellement le produit des inégalités de traitement que le système scolaire lui-même cautionne.
Question de classe sociale
Le Rapport établit un lien direct entre la classe sociale de provenance des élèves et l’accès aux projets particuliers et à l’école privée.
Seulement 16 % des écoles secondaires publiques dont l’indice de milieu socioéconomique est faible proposent à leurs élèves des programmes particuliers, alors que pour les établissements dont l’indice de revenu est moyen ou élevé, ce pourcentage atteint respectivement 46,2 % et 42,4 %.
Concernant l’école privée, 7% de l’effectif provient de milieux à faibles revenus (revenu familial moyen de moins de 50 000 $), 21% de la classe moyenne (revenu familial entre 50 000 $ et 100 000 $) et 72% de milieux favorisés (revenu familial supérieur à 100 000 $).
Pour la classe hétérogène
Pour « remettre le cap sur l’équité » – qui est le sous-titre du Rapport – le CSE milite pour le retour à une classe hétérogène.
Il est clair, pour le CSE, que tous les enfants ont avantage à fréquenter des milieux scolaires hétérogènes, non seulement sur le plan cognitif, mais également sur le plan de l’estime de soi, de la tolérance à l’égard de la différence et de l’engagement civique (le vivre ensemble).
À l’encontre de ceux qui craignent le « nivellement par le bas », le CSE cite plusieurs études qui démontrent que, « dans un groupe mixte équilibré, les élèves performants maintiennent leurs bons résultats, et ceux qui éprouvent des difficultés obtiennent de meilleurs résultats au contact d’élèves qui apprennent facilement ».
Des solutions
Dans la conclusion de son Rapport, le CSE propose trois scénarios possibles.
Scénario 1. Le jeu de l’offre et de la demande. C’est laisser libre cours à la loi du marché, avec pour résultat l’accentuation des dérives actuelles et l’assurance de franchir le point de non-retour, le point de bascule.
Scénario 2. Intervention de l’État pour assurer l’égalité stricte des résultats. Un tel virage implique, entre autres, de cesser progressivement le financement public des écoles privées et l’interdiction de la sélection dans les projets particuliers.
Scénario 3. Assurer de la qualité de l’offre partout. C’est un compromis entre les deux scénarios précédents, avec l’objectif de réduire les écarts entre les milieux. Il comprend des investissements pour que toutes les écoles aient des installations équivalentes, l’admission des élèves dans les programmes particuliers sur la base de l’évaluation de leurs besoins et de leurs intérêts (et non sur la base des notes, du comportement ou de la capacité de payer des parents) et une intégration d’élèves HDAA dans les écoles privées.
Quelle que soit la solution privilégiée entre les scénarios 2 et 3, elle implique à la base l’adhésion à une certaine conception de la justice et de l’égalité des chances. Nous y reviendrons.