29 mars 2018
Une tendance lourde et inquiétante qui pourrait aussi s’imposer en éducation.
Jusqu’à quel point un employeur a-t-il la légitimité de s’introduire dans la vie privée d’un employé, sous prétexte que ce dernier a la responsabilité de livrer une prestation de travail ?
Telle est la question soulevée par la « Politique réseau de gestion intégrée de la prévention, de la présence et de la qualité de vie au travail » et par le Cadre de référence sur le soutien et la réintégration au travail : vers une approche axée sur la collaboration du ministère de la Santé et des Services sociaux.
De quoi parle-t-on au juste ?
La réforme du ministre Barrette dans le réseau de la santé a généré beaucoup de chamboulements dans l’organisation du travail, ce qui a eu pour résultat l’augmentation de la surcharge de travail et de l’épuisement chez le personnel. L’explosion des statistiques traduisent une hausse des problèmes : coûts en assurance-salaire, heures perdues par année en raison d’une invalidité, accidents de travail et maladies professionnelles.
Ainsi, pour tenter de pallier à la situation, le ministère adopte, en janvier 2017, la Politique ci-haut nommée. Globalement, le document insiste sur la nécessité des employés de se responsabiliser et d’adopter de saines habitudes de vie pour être en mesure d’offrir une prestation de travail. Oui, oui ! Vous avez bien lu !
Le document stipule bien que c’est au personnel qu’incombe la responsabilité de s’adapter aux nouvelles réalités des établissements du réseau et de demeurer aptes à satisfaire les exigences des emplois.
« Le ministère aurait pu tenter de trouver des solutions en faisant de la prévention et en s’attaquant aux problèmes d’organisation du travail, en accord avec tous les principes de base en santé et sécurité du travail. Il a plutôt choisi de prendre la voie de la responsabilité des individus », s’indigne Jean-François Piché, conseiller à la CSQ, en entrevue pour Le Champlain.
Il explique que le Cadre de référence sur le soutien et la réintégration au travail va encore plus loin. « Pour gérer l’urgence de ceux et celles qui font exploser les statistiques, il importe de les ramener au travail le plus rapidement possible, déplore-t-il. On insiste sur le fait qu’ils doivent participer à leur réintégration au travail et qu’ils ont la responsabilité de leur retour au travail. Alors qu’ils sont en invalidité, on leur demande de contribuer à l’analyse et à l’évaluation de leur situation d’invalidité et de rédiger leur programme de réintégration au travail. Ça n’a aucun sens ! »
En fait, c’est littéralement en opposition avec l’esprit et les principes de la Loi sur la santé et la sécurité du travail qui stipule pourtant que l’employeur a la responsabilité de voir, de maintenir et de prendre les moyens nécessaires pour assurer un milieu et un climat de travail sain et exempt de harcèlement, de violence, etc. De plus, la Loi est claire sur l’obligation de l’employeur de favoriser la prévention d’abord et avant tout. Les nouvelles pratiques de gestion promues par le ministère de la Santé et des Services sociaux renversent le fardeau de la responsabilité sur le travailleur et évitent soigneusement d’analyser les causes réelles des invalidités.
« Ces documents mettent de l’avant des pratiques qui, au final, sont des outils destinés aux gestionnaires pour améliorer les statistiques. C’est inquiétant parce que cette intrusion dans la vie privée des gens peut aller très loin. On ne peut pas laisser ça aller », ajoute-il.
Le Conseil général de la CSQ a d’ailleurs adopté un plan d’action qui comporte différents volets et mesures, dont des contestations juridiques.
Quel rapport avec le réseau de l’éducation ?
Pour Jean-François Piché, il ne fait aucun doute que les documents du ministère sont inspirés par les philosophies et les méthodes managériales en vogue parmi les entreprises privées, notamment dans l’économie du savoir, dans la haute technologie et dans certains milieux créatifs.
Selon lui, le secteur de l’éducation n’est pas à l’abri de cette tendance lourde. D’autant plus qu’il y a un parallèle flagrant à faire avec le secteur de la santé, notamment concernant les problèmes de climats en milieu de travail, l’organisation du travail, la violence, la hausse des cas d’invalidité, les objectifs et cibles à atteindre et le manque de ressources qui affectent lourdement le personnel de l’éducation.
« En santé, c’est souvent là qu’on fait des tests… Mais clairement, cette philosophie se fait sentir ailleurs. Par exemple, avec l’Ordre de l’excellence en éducation et l’idée de récompenser une personne, on est là-dedans. C’est une gestion des ressources humaines axée sur l’individu, le rendement et la récompense au mérite. Malheureusement, le contexte culturel et social est favorable à cette tendance dans l’opinion publique et le gouvernement capitalise là-dessus. »
À la lumière de ce qui se passe dans certaines écoles, on ne peut que constater que, déjà, des directions s’inspirent de ces pratiques abjectes qui font des dommages importants chez le personnel du réseau de la santé.
Maude Messier