14 mars 2018
Le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Sébastien Proulx, a profité de la période des Fêtes pour rédiger « d’un trait », nous dit-il, un petit livre de 136 pages intitulé Un Québec libre est un Québec qui sait LIRE et ÉCRIRE (Septentrion). Pour une raison inexpliquée – mais qui n’a rien à voir avec la tenue prochaine d’élections, nous assure-t-il (sic !) – le ministre n’a pu résister, entre la dinde et la tourtière, à ce qui « était devenu pour [lui] une impérieuse nécessité » : exposer sa « vision » de l’éducation.
Étonnamment, plus de la moitié du livre est consacrée à l’importance de la culture générale et de la lecture. Dans ces pages, le ministre tient à faire la démonstration qu’il a des « lettres » et une « passion » pour . Aurait-il voulu corriger l’image d’un passé adéquiste-caquiste populiste, qui lui colle à la peau, qu’il n’aurait pas procédé autrement.
Difficile, en effet, pour un ministre qui se fait surtout photographier avec des élèves du primaire de s’élever au statut d’intellectuel que requiert son poste de ministre de l’Éducation. D’autant plus que, laïcité oblige, il ne peut se vanter d’avoir entrepris ses études au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières.
Qu’à cela ne tienne, ses héros – habilement choisis parmi les trois composantes de l’identité québécoise – sont Napoléon, Churchill et Lincoln, une façon subliminale de laisser entendre qu’il pourrait être un candidat à la succession de Philippe Couillard, advenant une défaite libérale lors du prochain scrutin.
À part son autopromotion, que nous révèlent les propos du ministre sur l’éducation ? Rien de très révolutionnaire, malgré ses prétentions contraires. Dans la première partie du livre, consacrée à la reconnaissance des responsabilités de tous, il parle de la nécessité de développer « le goût de l’effort » chez les jeunes, de « l’obligation » qu’ont les parents de soutenir leurs enfants et de la nécessaire « valorisation » de la profession enseignante. Nous reviendrons sur ce dernier point.
À la défense de l’école privée
Dans une deuxième partie, il nous invite à la reconnaissance du rôle des institutions. Quatorze pages sont consacrées aux bâtiments scolaires (Lab-École, etc.) et sept autres à des banalités sur les commissions scolaires et le ministère de l’Éducation.
La pièce de résistance de cette partie est le rejet – sans jamais le nommer – du Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation (2014-2016) du Conseil supérieur de l’éducation, qui soutient qu’avec 20 % des élèves au secondaire inscrits dans une école privée et un autre 20 % dans des projets particuliers sélectifs dans le réseau public, « notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».
Sans apporter aucun argument de fond, le ministre réfute le terme de « ségrégation scolaire » et refuse de considérer que « l’école québécoise soit inégalitaire ». Pourtant, le Rapport est clair; il établit un lien direct entre la classe sociale de provenance des élèves et l’accès aux projets particuliers sélectifs et à l’école privée.
Le ministre Proulx se retranche derrière deux arguments classiques pour s’opposer à la fin du financement public des écoles privées. « La liberté de choisir des parents reste une référence incontournable », écrit celui qui a obtenu son diplôme d’études collégiales au Collège Laflèche, seul établissement collégial privé en Mauricie et au Centre-du-Québec. Une « liberté de choix » réservée aux mieux nantis et financée par l’ensemble de la collectivité.
Son deuxième argument est d’ordre économique : « L’effet négatif sur les finances publiques » du retour des élèves du privé au public. Un argument contestable, dépendamment de la méthode de calcul employée, et irrecevable si on considère l’effet positif que représenterait la constitution de classes hétérogènes à l’école publique.
Et les responsables sont…
Une fois éliminée la cause première des déficiences du réseau de l’éducation, le ministre sort de son cartable une vieille recette éprouvée : pointer du doigt les enseignantes et les enseignants.
Il consacre beaucoup moins de pages à la profession enseignante qu’au béton du Lab-École, mais elles sont hautement signifiantes. Pour « valoriser la profession d’enseignant », le ministre Proulx, qui n’est détenteur que d’un baccalauréat en droit, envisage « la possibilité d’offrir une formation initiale menant à un diplôme de deuxième cycle » et la mise en place d’un « cadre normatif qui encadre le développement professionnel et qui exige, annuellement, un certain nombre de jours de formation continue ».
Il dit s’inspirer de « la Finlande, un État auquel nous aimons nous référer », écrit-il, sauf, bien entendu, lorsqu’on lui souligne que la Finlande ne finance pas les écoles privées.
À la formation initiale et continue, s’ajoute forcément l’évaluation des enseignants et réapparaît, comme par enchantement, la création d’un ordre professionnel !
Le ministre appelle « à une révolution, pour passer à une valorisation au point de sélectionner l’élite pour occuper l’emploi le plus important dans une société ».
Et qui, aux yeux du ministre, va entraver cette « révolution » ? Bien évidemment, les syndicats, ces « tenants du statu quo », qui vont s’opposer à ceux qui, comme le ministre, proposent une « vision » : « Ils lèvent le ton. Ils dénoncent l’idée, la proposition. Ils nient les faits par peur de devoir changer quoi que ce soit. Nous sommes là, à la frontière du corporatisme ». Mais les syndicats peuvent éviter de sombrer dans l’abîme en acceptant l’invitation du ministre à « sortir du cadre actuel de négociations », « à plus de conversations franches et ouvertes » mais, précise-t-il, « sans la présence du Conseil du trésor ».
Notre réponse
Au Syndicat de Champlain, nous n’avons jamais refusé les propositions de « conversations franches et ouvertes » avec le ministre. Ainsi, lors de sa consultation pour la Politique de la réussite éducative, nous avons exposé, nous aussi, notre vision de l’éducation. Et, sur certains points, nos « visions » respectives se rejoignent.
Ainsi, nous sommes d’accord avec le ministre sur le fait que « la période la plus déterminante de la vie d’une personne est bien la petite enfance ». C’est pourquoi nous revendiquons la présence de classes de maternelle 4 ans en milieux défavorisés, tout en élargissant leur accès au plus grand nombre.
Nous partageons également la même philosophie sur l’importance de la culture générale. Nous en avons une conception si large et pratique qu’elle nous a amenés à revendiquer d’axer la formation professionnelle sur l’apprentissage d’un métier et non sur les besoins pointus et du moment de l’entreprise.
Nous croyons, nous aussi, que « nos enfants ont le droit de fréquenter de belles écoles » et nous voulons que, pour leur construction ou leur rénovation, le personnel enseignant, professionnel et de soutien (le grand oublié du livre du ministre) soient consultés, comme nous l’avons exprimé lors de la table ronde que nous avons organisée avec les promoteurs du Lab-École.
Par contre, sur la question du financement des écoles privées, nous sommes en total désaccord avec le ministre et nous lui recommandons de RELIRE avec attention le Rapport du Conseil supérieur de l’éducation. Avec un peu d’ouverture d’esprit et quelques notions de mathématiques, il réalisera que cette situation est, en grande partie, responsable de la présence de 20 % d’élèves HDAA et du taux scandaleux de décrochage scolaire, un phénomène majeur absent totalement de sa réflexion.
Notre désaccord est connu aussi sur la création d’un ordre professionnel, pour des raisons maintes fois exprimées, mais nous sommes prêts à considérer la possibilité de la création d’un Institut national voué à la mise en valeur et au transfert de connaissances et au développement des expertises et des meilleures pratiques, en respectant l’autonomie professionnelle des enseignantes et des enseignants.
À propos de la valorisation de la profession enseignante, il est clair que nous ne nous contenterons pas de l’Ordre de l’excellence en éducation, une nouvelle décoration dont le ministre vante la création dans sa plaquette, même « si elle s’inspire des Palmes académiques françaises créées en 1808 » par son héros, Napoléon 1er.
Il aurait été plus à propos que le ministre présente des solutions à la précarité au travail, qui touche 40 % des membres du personnel enseignant et une majorité du personnel de soutien.
Une autre façon de revaloriser la profession enseignante, ignorée par le ministre, est le rattrapage salarial du personnel enseignant, inférieur d’environ 10 000 $ à la moyenne canadienne.
De façon plus générale, il aurait été intéressant que le ministre documente et commente les conséquences catastrophiques du milliard de dollars de compressions en éducation de son gouvernement au cours des dernières années et nous informe des correctifs qu’il compte apporter.
Compte tenu de ce qui précède, il s’avère que, contrairement aux vœux du ministre, des « conversations franches et ouvertes » ne peuvent se tenir sans la présence du Conseil du Trésor ! Comme le ministre, nous sommes pour « un Québec libre qui sait LIRE et ÉCRIRE », mais qui sait aussi COMPTER !
Pierre Dubuc, collaboration spéciale