16 janvier 2018
Au-delà du congé fiscal, est-il possible de parler de l’éléphant dans la pièce (et de s’indigner un peu aussi…!) ?
Le projet de loi 166, présenté par le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, en décembre dernier, fera baisser le compte de taxe scolaire de plusieurs contribuables. Ce sera d’ailleurs le cas pour celles et ceux demeurant sur le territoire des commissions scolaires des Patriotes, Marie-Victorin et de la Vallée-des-Tisserands.
Bonne nouvelle ? Pas vraiment. D’abord, parce que PL 166 pourrait avoir d’importantes répercussions sur le personnel de soutien travaillant dans les commissions scolaires puisque plusieurs de leurs postes sont financés à même la taxe scolaire. Ensuite, parce que les implications de ce projet de loi prouvent que l’argent pour un réinvestissement digne de ce nom en éducation est bel et bien disponible, mais que la volonté politique n’y est pas.
Dès l’année scolaire 2018-2019, il y aura une harmonisation régionale des taux de taxation, lesquels seront fixés en fonction du plus bas taux actuel dans la région. Pierre-Antoine Harvey, économiste à la Centrale des syndicats (CSQ), indique que le gouvernement s’est toutefois engagé à compenser les pertes des commissions scolaires.
Pour l’économiste, cette décision est difficile à expliquer, notamment parce qu’elle crée une nouvelle iniquité entre les contribuables qui ne bénéficieront pas d’un allègement fiscal équivalent.
« Par exemple, de la Vallée-des-Tisserands, qui était à 29,8 cents du 100 dollars d’évaluation, est réajusté au taux de la région qui sera de 17,8 cents du 100 dollars. À une valeur moyenne de propriété de 225 000 $, on parle de 300 à 315 dollars de moins de taxe scolaire par maison dans la région de Beauharnois.
« C’est quand même un cadeau important. Par contre, dans une commission qui était déjà à un taux de taxation bas, les gens ne verront pas autant l’avantage de la baisse de taxe. Je pense à des Patriotes qui était à 19 cents et qui va passer à 17,8 cents, c’est donc une baisse d’à peu près 100 dollars. »
Le gouvernement aurait pu faire le choix de mettre le taux de taxation au niveau moyen de la région ou encore de faire un taux unique à travers le Québec de manière à réduire les iniquités entre les différentes régions. « Mais quand on parle d’aller à la moyenne, ça veut dire qu’il y a des gens dont le compte de taxe baisse et, forcément, d’autres qui monte. Et à un an des élections, le gouvernement libéral n’avait pas envie d’augmenter la taxe scolaire. »
Le gouvernement a donc décidé de payer le prix fort pour s’assurer que personne ne voit son compte de taxe augmenter : Il s’est engagé à compenser les pertes de revenus des commissions scolaires de quelque 670 millions de dollars par année, pour au moins deux ans !
« Plutôt que de réinvestir [cet argent] dans les services, insiste Pierre-Antoine Harvey, il a choisi d’accorder une baisse de taxe à monsieur et madame tout-le-monde, mais qui n’est même pas égale selon les régions. C’est ce qu’il y a de plus révoltant dans cette réforme-là, parce que le gouvernement y va à dose homéopathique pour réinvestir dans les services sous prétexte qu’il n’a pas de marge de manœuvre. Mais là, il vient de nous dévoiler qu’il y en avait de la marge de manœuvre parce qu’il est prêt à consacrer 670 millions de dollars juste pour financer une baisse d’impôt et ça, ça n’ira pas dans les services. »
Le b.a.-ba de la taxation scolaire
« La taxe scolaire est une taxe foncière qui se calcule à la valeur de l’évaluation municipale d’une propriété, explique Pierre-Antoine Harvey. On parlera, par exemple, d’un taux de taxation de 27 cents par 100 dollars du rôle d’évaluation. »
La taxe scolaire sert au financement de certaines activités de la commission scolaire, globalement la gestion et l’entretien des immeubles ainsi qu’une partie du transport scolaire.
La taxe scolaire finance donc les employés qui travaillent dans les bureaux de la commission scolaire ou encore ceux qui ne sont pas affectés à une école. On pense ici par exemple à un électricien ou un plombier.
Pierre-Antoine Harvey explique qu’avant le projet de loi 166, les commissaires fixaient eux-mêmes le taux de taxation scolaire, essentiellement en fonction des besoins des gestionnaires. Ce qui explique pourquoi il pouvait y avoir des écarts si grands entre les différentes commissions scolaires.
Si vous n’avez pas d’enfants ou qu’ils ne fréquentent pas l’école, vous pouvez choisir la commission scolaire, francophone ou anglophone, à laquelle vous souhaitez contribuer; généralement celle où le taux de taxation est le plus bas. Une situation, connue et dénoncée depuis longtemps, qui posait problème dans certaines régions, particulièrement en Outaouais.
Le ministre Proulx a annoncé la réforme en affirmant qu’il ne s’agit pas d’un cadeau fiscal, mais d’une façon de régler une iniquité qui existe dans le réseau. « Pour régler le problème, indique Pierre-Antoine Harvey, il enlève le droit aux commissions de déterminer par elles-mêmes le taux de taxation. Il les regroupe en dix-sept régions, calquées sur les régions administratives actuelles, lesquelles devront se créer un comité de gestion de la taxe scolaire, comme cela se fait déjà sur l’île de Montréal depuis les années 1970. En fait, le ministre prend le modèle de Montréal et l’impose dans chacune des régions. »
Et après la fin de la compensation ?
Le gouvernement fixe donc le taux de taxation pour l’an prochain. L’année suivante, c’est le comité qui le fixera. Pour le moment, le gouvernement dit qu’il compensera pour les deux prochaines années, mais ensuite, on ne le sait pas.
Soit le gouvernement continue de compenser et 670 millions par année y sont consacrés. Soit il arrête de compenser une fois que les élections sont passées et les comités devront donc envisager de hausser progressivement les taux. Cela signifierait qu’on aurait englouti des millions de dollars, qui auraient pu aller directement dans les services, pour revenir à peu près au point de départ.
Mais cela laisse présager d’autres problèmes. La hausse du taux de taxation rendra la taxe scolaire tellement détestable aux yeux des contribuables, que ça pourrait aller jusqu’à mener à l’abolition de la taxe, envisage Pierre-Antoine Harvey. « Éventuellement, le problème, une fois que tu enlèves aux commissaires le pouvoir de fixer le taux de taxation, tu leur enlèves l’autonomie, leur pertinence et donc, ça remet en question la démocratie scolaire. »
Conséquemment, si les comités choisissent de ne pas aller chercher tout le manque à gagner pour éviter le tollé, ils devront tout de même composer avec des compressions. Et qui en fera les frais au premier rang ? Le personnel de soutien scolaire.