6 novembre 2017
Le 16 octobre dernier, le ministère de l’Éducation rendait public un Document de consultation sur la création d’un institut national d’excellence en éducation. Par le plus grand des hasards (!), l’Institut du Québec (IdQ) publiait, un mois auparavant, un rapport intitulé « Des exemples pour l’école québécoise », salué par un éditorial d’Alexandre Sirois, dans La Presse du 24 septembre, pour ses supposées « idées novatrices » pour l’école québécoise.
Le rapport de l’IdQ présente une dizaine de courtes fiches sur des expériences provenant de sept pays, qualifiées d’« inspirantes » par l’éditorialiste de La Presse parce qu’elles ont « le but de faire ri-mer éducation avec audace plutôt qu’immobilisme ».
Difficile de formuler une appréciation de ces expériences, qui vont de la disposition de la classe (Ørestad Gymnasium au Danemark) à la pédagogie par projets (États-Unis), présentée comme nouveauté (!?), jusqu’aux inévitables portails en ligne (Éduscol en France).
Attardons-nous un instant au projet « Fife Peer Learning Experiment » de l’Écosse. Les élèves de 129 écoles primaires, expliquent les auteurs du rapport, ont été « jumelés afin qu’ils s’entraident régulièrement sur des travaux de lecture et de mathématiques au cours de sessions de 20 minutes à une heure par semaine ».
Cependant, les auteurs omettent de dire que ce projet de « tutorat par les pairs » est rendu possible parce que le système d’éducation écossais se caractérise par une longue tradition d’enseignement public ouvert à tous, ce qui le différencie de ceux des autres nations du Royaume-Uni… et de celui du Québec !
L’éléphant dans la pièce
En fait, les auteurs anonymes du rapport de l’IdQ évitent soigneusement de mentionner la caractéristique principale du système québécois, soit la ségrégation entre les élèves de la classe ordinaire, des classes à projets particuliers et de l’école privée.
Pourtant, dans son Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016, le Conseil supérieur de l’éducation montrait que notre système scolaire, « de plus en plus ségrégé », était le plus inégalitaire au Canada et courait « le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».
Les auteurs de l’IdQ insistent sur la nécessité d’une école « inclusive », mais ils se gardent bien de faire référence à la nécessaire « inclusion » de tous les élèves dans des classes, des écoles et un système scolaire hétérogènes, condition sine qua non pour tirer le maximum d’un projet de « tutorat par les pairs ». La présence d’écoles privées, grassement subventionnées, est l’éléphant dans la pièce qu’on évite soigneusement de voir.
Quel immobilisme ?
Les auteurs anonymes – qui remercient dans une note à la fin du document Égide Royer « pour ses judicieux commentaires » – dénoncent la « rigidité » et l’« immobilisme » de notre système. Mais ils ne prônent pas de « réforme radicale du système éducatif » – comme la fin des subventions publiques aux écoles privées – et invitent plutôt à se contenter d’une « approche d’innovation ascendante (!), c’est-à-dire une innovation testée à petite échelle, éprouvée, puis adoptée par les différents niveaux du système ».
Pas question non plus que ces « innovations ascendantes » coûtent trop de sous, car nous serions, écrivent-ils, « dans un contexte de raréfaction des ressources », alors que le gouvernement nage dans les surplus budgétaires.
La future orientation de l’Institut national d’excellence ?
Alors que l’école québécoise a pour mission « d’instruire, de socialiser et de qualifier », l’IdQ réduit ce rôle à la formation de personnes « capables de participer de manière significative à l’amélioration de la compétitivité et à la croissance économique ».
Cette approche utilitariste n’est pas étonnante lorsqu’on sait que l’Institut du Québec est une création du Conference Board du Canada et des HEC Montréal et que sa mission est de produire des analyses pour « alimenter le débat au sein de la classe politique et du milieu des affaires ».
L’IdQ est présidé par l’ex-ministre libéral Raymond Bachand et est dirigé par Mia Homsy, ex-chef de cabinet de
M. Bachand. Curieusement, il ne possède ni conseil d’administration ni chercheurs. Cependant, au conseil d’administration de l’organisme-père, le Conference Board, on note la présence de dirigeants de General Electric, Cisco System, CGI, McCarthy Tétreault avocat, IBM, Trans Alta, Shell, KPMG, London Drugs, Xerox.
La création de l’IdQ arrive à point nommé, alors que l’Institut économique de Montréal (IEDM), un autre « think tank » libéral, est de plus en plus discrédité à cause de l’orientation néolibérale de ses recherches.
La question qui se pose est la sui-vante : Le rapport de l’Institut du Québec annonce-t-il l’orientation de ce que sera le futur institut national d’excellence en éducation du ministre Sébastien Proulx ? Si oui, il y a lieu de s’inquiéter.
Pierre Dubuc