18 mai 2017
Le billet de Mireille
Louis est un beau petit garçon, il a toutefois des problèmes de langage. Marie, Loïc, Jacob, Lily, Alice et Alex ont des difficultés d’apprentissage. Étienne, Anne et Éric ont des problèmes de comportement; ils font des crises violentes, ce qui a un effet d’entraînement sur Elliot et Marylou. Alexis, Richard et Maude aiment que tout se passe toujours de la même façon, ils souffrent d’anxiété. Il y a 23 élèves dans la classe de madame Nathalie.
Les ressources ont été réparties en début d’année à travers toutes les classes de l’école. On a dû faire des choix. Malheureusement, les services sont rationnés et ne répondent pas aux besoins de tous les élèves.
Quand madame Nathalie a fait une demande de plan d’intervention et de services pour des élèves, on lui a dit de ne pas le faire, car il n’y avait plus de possibilité d’en ajouter. Madame Nathalie a insisté, il faut que ces élèves soient évalués ou identifiés.
Pourquoi, lui répond-on ? Il y a des élèves à risque, on le sait. Pour le reste, cachez ces chiffres qu’on ne veut pas voir ! Nous pratiquons l’aveuglement volontaire, ça fait partie des approches probantes !
Malheureusement, quand vient le temps d’observer les taux de réussite, ceux-ci deviennent la responsabilité de l’enseignante. Rapidement, on laisse sous-entendre que le problème, c’est « probanblement » son enseignement, son manque de formation, son jugement professionnel…
Il n’y a pas d’introspection quant au contexte de travail. On préfère cibler l’enseignante, ça ne coûte pas cher et la coupable est trouvée. « As-tu pensé à créer un lien avec l’élève ? Peut-être devrais-tu revoir la disposition de ta classe ? T’es peut-être trop exigeante ? ».
Des madames Nathalie et des monsieurs Nathaniel, il y en a dans toutes les écoles. Il y a aussi des madames Lucie et des monsieurs Luc qui soutiennent les enseignants parce qu’ils sont préposés aux élèves handicapés ou techniciens en éducation spécialisée et qu’ils ont trop de cas pour les heures qu’on leur donne.
Dans un cas comme dans l’autre, leur santé en prend pour son rhume. Ils portent la responsabilité de la réussite de tous les élèves sans le plein pouvoir sur l’ensemble des moyens.
Faisons un parallèle. Imaginons que les médecins se fassent dire, pour tout le mois de juin, vous avez droit à dix demandes de soins ou diagnostiques, on a décidé de couper dans les services. Pour les autres patients, ne leur dites pas qu’ils sont malades et encore moins qu’une opération est possible. Une prescription fera l’affaire. C’est comme ça; il faut en sacrifier quelques-uns pour le bien de l’ensemble. Et ce sera ainsi pour tous les mois à venir.
Pour pallier au rationnement des services et faire bonne figure dans l’opinion publique, le ministère et les commissions scolaires préfèrent imposer des outils, des formations. Ils partent des modes.
Ces temps-ci, les données, approches ou recherches probantes sont à la une. On entend aussi beaucoup parler des communautés d’apprentissage. Certes, certaines recherches sont fort intéressantes, mais elles ne sont pas une panacée. Une seule et même solution pour tous est utopique. Les élèves sont des humains, pas des boîtes de conserve. Même chose pour le personnel. Et la meilleure solution sera toujours celle choisie par l’intervenant. Mais, aussi géniale soit-elle, elle ne pourra pallier le manque de ressources.
Ce n’est pas en rendant coupable le personnel enseignant et de soutien, en le rendant malade que les élèves seront mieux servis. Madame Nathalie le sait, elle n’arrive plus à s’adapter à la situation. Ne lui reste que le conseil de sa direction « bois un bon verre de vin ce soir… »
Et le projet de loi no 105 est à la porte avec sa vision comptable de l’éducation. Ces dérives ne pourront que s’accentuer. Soyons donc très vigilants avec la révision des plans de réussite.