16 décembre 2016
Quand l’école publique n’est plus l’école commune
À chaque publication des tests PISA, notre sentiment est partagé. D’une part, nous sommes heureux de la bonne performance des élèves québécois. De l’autre, nous craignons que cela n’occulte les problèmes réels auxquels les enseignantes et les enseignants sont confrontés.
Cette année, les tests PISA ont servi de révélateur du problème fondamental de notre système d’éducation. Après la nouvelle que le Québec se classait dans le peloton de tête, des articles de journaux ont mis en lumière l’échantillonnage biaisé de la représentation québécoise.
Il y a, en effet, une surreprésentation des écoles privées, qui sélectionnent leurs élèves, parce que 46 commissions scolaires boycottent le PISA pour protester contre le gouvernement Couillard.
Dans son rapport, l’OCDE souligne qu’à peine 51,7% des écoles québécoises invitées à prendre part au PISA ont participé au test, ce qui est nettement moins que le taux de réponse de 85% considéré comme la norme.
Aussi, l’organisme a noté dans son rapport que « les résultats de la province de Québec doivent être traités avec circonspection, en raison d’un possible biais de non-réponse, et qu’une note à ce sujet devait figurer dans toutes les analyses régionales et dans le rapport pancanadien ».
Bientôt, le point de bascule
Les écoles privées sont la cause d’énormes distorsions dans le système d’éducation québécois. Dans son récent Rapport sur l’État et les besoins de l’éducation 2014-2016, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) émettait le constat qu’avec son réseau privé surdimensionné, la multiplication des projets particuliers sélectifs dans les écoles publiques, les classes ordinaires plombées par l’intégration disproportionnée des élèves HDAA, notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque « d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».
Dans une série d’articles publiés dans Le Devoir sous le thème « l’école à l’examen », différents intervenants reprenaient à leur compte l’analyse du CSE.
À la question « si vous étiez ministre, quelle serait la priorité de votre mandat », le professeur Claude Lessard, ex-président du CSE, déclarait qu’il prioriserait « l’équité du système d’enseignement primaire et secondaire ».
Selon lui, le système « dérive lentement, mais sûrement » depuis le milieu des années 1980. « L’enseignement privé recrute de plus en plus au secondaire (dans plusieurs commissions scolaires, le pourcentage des élèves au privé dépasse les 30-40%), les commissions scolaires multiplient les programmes enrichis et les projets particuliers (souvent électifs) ».
L’ex-directrice du Devoir, Lise Bissonnette, tenait des propos similaires. « Le temps est venu de stopper l’érosion du caractère public de notre système, de la garderie à l’université » déclare-t-elle. « Quand on accepte la charge de gouverner, ce n’est pas, en éducation, pour obtenir des résultats présentables aux tests internationaux. La raison d’être de l’État, c’est d’empêcher la loi du plus fort de régir la vie en société. »
Elle ajoute : « Nous naissons tous égaux, certes, mais les inégalités s’installent dès le premier souffle. Le système d’éducation est la première ligne de résistance à cette adversité, qui n’est pas une fatalité. (…) Cette façon de faire le tri, maquillée au nom de l’excellence ou de la douance ou de la brillance mondiale, repose au Québec sur le vecteur de la privatisation ».
Le danger de tergiverser
Pour Normand Baillargeon, philosophe et auteur de plusieurs livres sur l’éducation, la priorité serait de « mettre sur pied ce que j’appellerais une commission Parent 2.0 » dont le mandat serait, centralement, de « préciser ce que collectivement nous entendons être l’éducation et les fins qu’elle doit servir ».
Il trouve que le rapport du Conseil supérieur de l’éducation est « une intéressante amorce », mais il affirme que « sa véritable complétion suppose qu’on sache quelles politiques adopter face à des choses aussi importantes que le financement de l’école privée, les programmes internationaux, l’aide aux élèves en difficulté et de très nombreuses autres qui, toutes, supposent que l’on ait collectivement répondu aux questions qui seraient traitées par Parent 2.0 ».
Ce qui pourrait être une belle façon de reporter la question des écoles privées aux calendes grecques.
Noyer le poisson
Le directeur du Devoir Brian Myles a conclu, dans un éditorial, la série « L’école à l’examen » en reprenant certaines idées à la mode : « Bâtir un projet pédagogique plus respectueux de l’autonomie des écoles et de leur personnel de direction », « Rehausser la qualité des installations », « Choisir les maîtres à la base (!?) et mieux les payer », « Briser le tabou voulant que l’ancienneté, et non la compétence, dicte les moindres virgules des relations de travail dans les écoles publiques ».
Mais il a soigneusement évité de prendre position pour l’abolition des subventions publiques aux écoles privées. Il écrit : « Avant de penser à la création d’un ordre professionnel des enseignants, à l’abolition de l’enseignement privé ou encore à la formation des maîtres, il faut replacer l’éducation au cœur d’une démarche pour former des citoyens qui seront outillés pour lire, compter, comprendre et interpréter le monde ».
Ça s’appelle noyer le poisson sous de grandiloquentes déclarations. Une position conforme aux intérêts du lectorat du Devoir, l’élite québécoise qui constitue la principale clientèle des écoles privées.
Au final, Myles s’est rabattu sur la proposition de Normand Baillargeon de tenir une « commission Parent 2.0 afin de penser le système de demain ».
Personne ne peut s’opposer à ce qu’on « pense le système de demain », mais remettre à plus tard la fin des subventions publiques aux écoles privées risque que soit franchi le « point de bascule », dont parle le Conseil supérieur de l’éducation, et que notre système d’éducation soit irrécupérable.
Addendum
À toutes celles et ceux qui sont intimidés par les tests PISA, nous conseillons la lecture de la chronique du 9 décembre de Christian Rioux, le correspondant du Devoir à Paris.
Dans cette chronique, il passe à la moulinette les tests PISA. Il s’en prend à ce « hit-parade qui prétend comparer la qualité de la formation offerte dans plus de 70 pays souvent aux antipodes sur les plans culturel, scolaire et socio-économique » et qui ignore volontairement toute évaluation des savoirs, pour ne mesurer que quelques « compétences » de base en lecture, en mathématiques et en sciences.
Il cite une étude publié en 2014 dans le journal The Guardian dans laquelle « plus de 80 experts internationaux avaient réclamé la suspension de ces tests subventionnés à coups de millions par les États ».
Ils contestaient, rappelle Rioux, « la capacité d’un test aussi ‘‘étroit’’ et ‘‘peu objectif’’ à rendre compte de la diversité des systèmes d’éducation dans la monde » et surtout au fait qu’il ne s’intéressait « qu’à la préparation des élèves au marché du travail, au détriment des autres vocations de l’école, comme l’éducation morale, civique et culturelle ».