10 novembre 2016
Deux concepts qui s’opposent?
Palmarès des écoles, concurrence entre les réseaux privé et public, compétition entre les écoles, concours du meilleur prof, bulletins des élèves, notre système scolaire est de plus en plus régi par les lois du marché.
Bien que l’égalité des chances soit le principe de justice scolaire le plus spontanément évoqué, une logique de rivalité domine actuellement.
Un objectif exigeant
Dans son Rapport sur l’État et les besoins de l’éducation 2014-2016, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) analyse différentes conceptions du principe de l’égalité des chances.
Le CSE rappelle que l’égalité des chances est un objectif exigeant. Il est à la frange entre les intérêts individuels (une conception méritocratique dans un contexte de concurrence où chacun vise le meilleur pour son enfant) et le bien commun (répondre aux besoins individuels pour permettre le développement du plein potentiel de chacun en vue d’une société où tous trouvent leur place).
De toute évidence, c’est la conception méritocratique qui domine actuellement. Dans le contexte de concurrence qui est le nôtre, le mot « chance » dans l’expression « l’égalité des chances », signifie qu’il y aura des gagnants et, par voie de conséquence, des perdants.
Avec l’égalité des chances méritocratique, l’école devient un concours à remporter par les plus forts et non une course de fond à terminer chacun à son rythme. Et, comme c’est le cas pour tout concours, il y a aura forcément des perdants, des exclus.
Ce qui n’est pas compatible, selon le CSE, avec la mission de l’école obligatoire.
L’exclusion sociale
Le Rapport va jusqu’à affirmer que l’égalité des chances méritocratique représente peut-être le mur contre lequel butent toutes les mesures de lutte contre le décrochage scolaire.
Les élèves en difficulté peuvent facilement renoncer à terminer la course s’ils estiment qu’ils ne seront jamais parmi les meilleurs et que leurs chances de gagner sont nulles.
« Très tôt, les élèves se rendent compte que l’échec subi à la suite d’efforts intenses est plus dommageable que l’échec qui suit un investissement moindre d’énergie », constatent les auteurs du Rapport.
Certains adoptent alors des stratégies d’évitement : minimiser l’intérêt d’apprendre, ne pas s’investir, ne pas prendre de risques, se replier sur soi, etc.
Le développement des conditions de l’égalité des chances aurait même, selon le Rapport, accentué la compétition et le rôle sélectif de l’école. Pourquoi? Parce que les efforts pour égaliser les chances et la façon dont on mesure les résultats ne prennent pas suffisamment en considération le fait que les individus n’ont pas le même rythme de développement ni les mêmes forces ou intérêts.
Le bien commun
Comment remédier à cette situation? Le Rapport se réfère à John Rawls qui a actualisé le principe politique du contrat social dans son livre La Théorie de la justice.
En vertu de cette théorie, il faut associer certaines conditions importantes au principe de l’égalité des chances pour nous assurer qu’il est juste. Si inégalités de traitement il y a, elles seront au bénéfice des plus vulnérables et elles n’aggraveront pas la situation entre les plus faibles et les plus forts.
La théorie de la justice de Rawls table sur le fait que les individus ont avantage à vivre dans un système qui assure un minimum aux plus démunis. Chacun a en effet intérêt à sacrifier une partie de son profit individuel immédiat pour le maintien d’un équilibre social durable dont il profitera.
La juste égalité des chances, par opposition à l’égalité des chances méritocratique, suppose donc que les inégalités de traitement soient au bénéfice des plus vulnérables. Ainsi, au nom du bien commun, nous acceptons généralement que certaines ressources soient distribuées de façon inégale en vue d’atteindre une plus grande équité.
Le point de bascule
C’est tout le contraire de la situation actuelle. Avec son réseau privé surdimensionné, la multiplication des projets particuliers sélectifs dans les écoles publiques, les classes ordinaires plombées par l’intégration disproportionnée des élèves HDAA, notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque, selon le CSE, « d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».
Dans ces conditions, la CSE questionne la capacité de notre système d’éducation à lutter contre l’exclusion sociale. Il rappelle que le lien entre éducation, démocratie et justice est fondamental dans nos sociétés et que l’école doit être organisée en fonction des principes de justice.
Une solide réflexion s’impose donc sur les finalités, les structures et le mode de fonctionnement de notre système d’éducation.